Jeremias Gotthelf: Historisch-kritische Gesamtausgabe

Mahlmann-Bauer, Barbara; Marianne, Derron (Hrsg.): Politische Publizistik (1828 –1854). Kommentar 1828 –1840. . Hildesheim 2012 : Olms Verlag - Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, ISBN 978-3-487-14608-9 788 S.

Mahlmann-Bauer, Barbara; Marianne, Derron (Hrsg.): Politische Publizistik (1828 –1854). Kommentar 1841–1854. . Hildesheim 2013 : Olms Verlag - Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, ISBN 978-3-487-14609-6 824 S.

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Olivier Meuwly

Il n’est ni juriste, ni politicien. Mais ne serait-il pas, en définitive, plus que tout cela? L’impitoyable observateur de la société bernoise du premier XIXe siècle qu’est Albert Bitzius, alias Jeremias Gotthelf, puise dans tous les recoins de la vie sociale pour livrer à ses contemporains, et à la postérité, un tableau profondément réaliste de son univers, où la lumière côtoie les bas-fonds, où la beauté cohabite avec la noirceur, où l’individu post-révolutionnaire lâché à la conquête de la liberté et de l’égalité croise dans un faceà- face parfois cruel esprits humanistes et âmes viles.

Jeremias Gotthelf est l’auteur d’une oeuvre protéiforme, que l’on ne peut loger dans une catégorie unique. C’est la vie dans sa truculence, sa grandeur et sa petitesse qui se coagule dans ses pages trempées dans la glèbe bernoise mais dont les héros accèdent au rang de figures universelles. Gotthelf n’est ni juriste, ni politicien. Il est pasteur à Lützelflüh, dans l’Emmental. Pourtant, de son presbytère, c’est l’être humain qu’il scrute. Homme de Dieu, il le décrit et agit, par la plume, ses prêches, son action à la commission scolaire ou à celle des pauvres. A son époque, à Berne, un ministre du culte ne pouvait aspirer à une carrière politique. Mais aurait-il souhaité être l’élu du peuple? On peut en douter. Gotthelf raconte son environnement pour mieux en cerner les ridicules mais aussi pour mieux identifier les terrains où l’utilité de son combat sera avérée.

Fin connaisseur des arcanes de la vie sociale et économique de son temps et de son canton, Gotthelf rappelle Balzac ou Shakespeare. Eux aussi ont su transcender le réel à travers leurs personnages, emblématiques de leur temps ou de la nature humaine; eux aussi ont nourri leur prose de leur maîtrise du droit et des affaires que leur ont enseignés leur sens aigu des hommes – ou les avanies de leurs propres existences! Gotthelf connaît tout sur le droit des faillites pour avoir ausculté la misère des paysans bernois, Balzac pour avoir fréquenté les huissiers de justice lancés à ses trousses.

A l’image de ces deux génies, Gotthelf narre un monde où, par l’art, l’individu et la société se révèlent dans leur immanence. Mais Gotthelf, contrairement à ses illustres collègues, se veut un politique, au sens plein du terme. Au-delà des silhouettes qu’il dessine, c’est le monde dans lequel ils évoluent qui l’intéresse. Pour lui, l’autopsie doit déboucher sur l’action immédiate.

Cette appétence pour la politique, la fantastique édition des écrits politiques de Gotthelf, qui rédige déjà pour la presse alors qu’il se nommait encore Albert Bitzius, la démontre à merveille. Mais ce qu’éclairent ses 155 articles recensés (dont 24 sans preuve absolue), et que confirme la remarquable postface de Barbara Mahlmann-Bauer, c’est que l’on ne peut saisir Gotthelf dans sa complexité, dans sa richesse, sans passer obligatoirement par le Bitzius qui manie avec talent la polémique, ce jeune pasteur et futur littérateur impliqué dès 1828 dans la véritable guérilla journalistique que se livrent les patriciens reclus dans leurs illusions et les libéraux conduits par les frères Schnell. Bitzius a choisi son camp: il sera libéral; son rôle dans la fondation de la Société de Zofingue avait déjà annoncé la couleur.

La Révolution française, avec ses effets à la fois paradoxaux et traumatisants, ne constitue certes pas un modèle. Ce que Bitzius condamne avant tout, c’est l’aveuglement des classes dirigeantes, persuadées que la Restauration leur a accordé une sorte de blanc-seing pour l’éternité. Leur incompréhension des enjeux à l’oeuvre après la chute de Napoléon le sidère: les gens attendaient des réformes que le patriciat a niées au nom d’une parenthèse révolutionnaire qu’il croyait naïvement refermée depuis le Congrès de Vienne. Pour Bitzius, pareille méconnaissance de l’esprit du temps mérite sanction: il n’abandonnera plus les frères Schnell et participera avec eux à l’aventure du Berner Volksfreund, fondé en janvier 1831. A ce journal, il donnera la majorité de ses «papiers» comme autant de fragments de son oeuvre à venir . Barbara Mahlmann-Bauer, qui dans sa postface pose les fondements d’une histoire de la presse bernoise au XIXe siècle, montre combien son oeuvre journalistique est consubstantielle à ses romans, combien ceux-ci demeurent incompréhensibles sans ceux-là. C’est dans la matrice journalistique que fermentent ses tableaux littéraires du Berne de son temps. Son oeuvre s’affirme résolument politique: l’art se met au service du discours.

Cette approche fait de Bitzius, dont la plume sarcastique provoque de plus en plus de ravages au fur et à mesure que sa notoriété d’écrivain croît, un allié, pour les Schnell, fidèle mais aussi incommode. Sur les thèmes qui lui sont chers, comme l’éducation ou la question de la pauvreté, jamais son attention et son sens critique ne s’effacent devant sa foi libérale ou celle de ses amis de Berthoud. Et il reste néanmoins à leurs côtés lorsque le vent politique tourne, en 1838, après l’affaire Louis-Napoléon. Leur attitude jugée peu patriotique envers les exigences de la France fait remonter à la surface le caractère inabouti des réformes qu’ils ont initiées. Ils accompagneront ensemble le déclin du régime libéral, attaqué par les radicaux de Stämpfli et des frères Snell, dont Bitzius ne cachera jamais la haine qu’ils lui inspirent. Un régime que les palinodies de Neuhaus ne sauveront pas.

Bitzius / Gotthelf parachève son passage du libéralisme, dont il était devenu l’un des porte-drapeau, au conservatisme, qu’il aidera à vaincre, en 1850. Non qu’il ait renié ses principes libéraux, mais autant il les jugeait menacés par l’impéritie de l’oligarchie au pouvoir, autant il les estime condamnés par la démagogie radicale. Ecrivain politique, épris d’un libéralisme guidé par des valeurs morales et chrétiennes qui sous-tendent depuis toujours sa pensée, Bitzius sublime son génie littéraire par une inextinguible ambition politique. Barbara Mahlmann-Bauer et son équipe, Marianne Derron, Ruedi Graf et Norbert Wernicke, doivent être loués d’avoir conduit ce travail titanesque. Leur travail minutieux, agrémenté d’un grand luxe de détails (chaque article est replacé dans son contexte singulier), apporte une contribution majeure à la connaissance de l’histoire politique suisse et de sa si riche pensée politique, hélas souvent ignorée.

Zitierweise:
Olivier Meuwly: Rezension zu: Jeremias Gotthelf: Historisch-kritische Gesamtausgabe (HKG), Bd. 1.2 Politische Publizistik (1828 –1854). Kommentar 1828 –1840, hrsg. von Barbara Mahlmann-Bauer und Marianne Derron in Zusammenarbeit mit Ruedi Graf und Norbert D. Wernicke. Hildesheim / Zürich / New York: Olms 2012. Zuerst erschienen in: Berner Zeitschrift für Geschichte, Jg. 77 Nr. 1, 2015, S. 3-45.

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Berner Zeitschrift für Geschichte, Jg. 77 Nr. 1, 2015, S. 3-45.

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